La Sonate à Kreutzer by Tolstoï

La Sonate à Kreutzer by Tolstoï

Auteur:Tolstoï [Tolstoï]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: BRS
Publié: 2011-02-10T16:00:00+00:00


XVI

Les enfants vinrent rapidement l’un après l’autre, et il arriva ce qui arrive dans notre monde avec les enfants et les médecins. Oui, les enfants, l’amour maternel, c’est une chose pénible ! Les enfants, pour une femme de notre société, ne sont pas une joie, un orgueil, ni un accomplissement de sa vocation, c’est la peur, l’inquiétude, une souffrance interminable, un supplice. Les femmes le disent, elles le pensent et le sentent ainsi. Les enfants pour elles sont vraiment une torture, non parce qu’elles ne veulent pas accoucher, nourrir et soigner (les femmes avec un fort instinct maternel, de la catégorie desquelles était la mienne, sont prêtes à cela), mais parce que les enfants peuvent devenir malades et mourir. Elles ne veulent pas accoucher pour ne pas aimer, et quand elles aiment elles ne veulent pas avoir peur pour la santé et la vie de l’enfant. C’est la cause pour laquelle elles ne veulent pas nourrir. « Si je le nourris, disent-elles, je l’aimerai trop. » On dirait qu’elles auraient préféré des enfants en caoutchouc qui ne pourraient ni être malades, ni mourir, et qu’on pourrait toujours réparer. Quel enchevêtrement dans la tête de ces pauvres femmes ! Pourquoi des abominations pour ne pas être enceinte, pour éviter d’aimer les petits ?

L’amour, l’état d’âme le plus joyeux, est représenté comme un péril. Et pourquoi ? Parce que, quand un homme ne vit pas en homme, il est pire qu’une bête. Une femme ne peut pas envisager un enfant autrement que comme un plaisir. Il est vrai qu’il est douloureux d’accoucher, mais quelles menottes !… Oh ! les menottes, oh ! les petits pieds, oh ! son sourire, oh ! son petit corps, oh ! son gazouillement, oh ! son hoquet ! En un mot, c’est un sentiment de maternité animale, sensuelle. Mais d’idée sur la signification mystérieuse de l’apparition d’un nouvel être humain qui nous remplacera, il n’en est guère.

Il n’y a rien de tout ce qu’on dit et fait : au baptême de l’enfant, personne n’y croit plus, et cependant ce n’était pas autre chose qu’un rappel sur la signification humaine du nouveau-né.

On a rejeté tout cela, mais on ne l’a pas remplacé et il ne reste que des robes, des dentelles, des menottes, des petits pieds, il ne reste que ce qui existe chez l’animal. Mais l’animal n’a ni imagination, ni prévision, ni raison, pas de médecin — oui, encore le médecin ! — chez la poule, la vache, le poussin laisse tomber sa tête, accablé, le veau meurt, la poule glousse et la vache beugle quelque temps, puis ces bêtes continuent de vivre, oublieuses. Chez nous, si l’enfant tombe malade, que faire, où le soigner, quel docteur appeler, où aller ? S’il meurt, il n’y aura plus ni menottes, ni petits pieds, et alors à quoi bon les souffrances endurées ? La vache ne demande pas tout cela, et voilà pourquoi les enfants sont une misère. La vache n’a pas d’imagination, et c’est pourquoi elle ne peut



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